Le journaliste palestinien Rami Abou Jamous : “Je continue, je ne veux pas qu’une voix de Gaza s’éteigne” (2024)

Ses reportages et infos nourrissent les médias francophones. Réfugié à Rafah avec femme et enfants, le journaliste nous partage son quotidien et ses inquiètudes face au conflit israélo-palestinien. Entretien.

Le journaliste Rami Abou Jamous dans un de ses reportages sur le conflit israélo-palestinien, diffusé sur France 24. France 24

Par Richard Sénéjoux

Publié le 21 mars 2024 à 19h16

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Journaliste depuis une vingtaine d’années, Rami Abou Jamous, Gazaoui de 46ans, couvre la guerre entre Israël et le Hamas pour de nombreux médias francophones (Le Monde, Libération, France 2, France 24, Radio France, Radio Canada…). Réfugié avec femme et enfants à Rafah, à la frontière égyptienne, depuis mi-novembre à la suite du déluge de feu qui s’abat sur la ville de Gaza, il raconte son quotidien et la difficile couverture du conflit.

Comment votre manière de traiter les événements a-t-elle évolué depuis le mois d’octobre?
J’ai pu travailler normalement pendant les deux premières semaines de guerre. Je me rendais sur différents lieux et recueillais des témoignages dans la ville de Gaza, avec un chauffeur et un caméraman. Mais, très vite, il a été de plus en plus difficile de se déplacer, de trouver des voitures et du carburant, de disposer d’assez de réseau pour transmettre les images. Mon chauffeur s’est retrouvé bloqué au nord, mon caméraman a perdu un enfant dans les bombardements… Alors j’ai commencé à filmer avec mon téléphone portable personnel. J’ai envoyé des images et des sons aux télés et aux radios. Puis nous avons été obligés de quitter la ville de Gaza le 10novembre, sur ordre de l’armée israélienne. On a mis une journée entière pour arriver à Rafah, on a fait le voyage en charrette, à pied… parfois au milieu des bombes. J’ai filmé cet exode avec mon téléphone, cela a été repris dans de nombreux médias (France 2, M6, Le Monde, Al Jazeera, CNN…).

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Comment travaillez-vous à Rafah?
Ici, le rythme de travail a baissé, je veux passer plus de temps avec ma famille. Je partage mes informations avec une centaine de journalistes francophones regroupés dans une boucle WhatsApp, baptisée «Gaza-Vie». Ils utilisent les infos pour nourrir leurs papiers ou mes images pour des sujets télé. Je signe un article tous les deux jours dans Orient XXI [un magazine en ligne français consacré au Moyen-Orient et au monde arabe, ndlr], je réalise aussi quelques sons pour Radio France. Bref, je continue, je ne veux pas qu’une voix de Gaza s’éteigne.

Qui continue de documenter ce qui se passe dans la ville de Gaza?
90% des journalistes ont quitté la ville de Gaza et sont allés vers le sud et Rafah, les autres sont morts (1) ou ont réussi à quitter le pays. Aujourd’hui, les seuls qui restent sont des jeunes d’une vingtaine d’années, qui sont devenus journalistes sur le tard et postent des vidéos sur Instagram. Certains travaillent avec Al Jazeera, car ils ne parlent qu’arabe. Ils prennent des risques insensés. Tous les correspondants des grands médias sont basés à Rafah. Mais les journalistes restent menacés partout, c’est une réalité.

Pendant les quarante-cinq jours où j’étais dans la ville de Gaza, j’ai eu tout le temps peur, comme l’ensemble de la population.

Vous avez déjà vécu et couvert quatre conflits à Gaza (2009, 2012, 2014, 2021). En quoi celui-ci est-il différent?
En fait, à chaque fois, c’est pire! Quand on voit l’ampleur des bombardements, des morts… c’est vraiment du jamais-vu. Tout le monde est devenu une cible, y compris les journalistes. Pendant les quarante-cinq jours où j’étais dans la ville de Gaza, j’ai eu tout le temps peur, comme l’ensemble de la population, avec des bombardements vingt-quatre heures sur vingt-quatre. J’ai perdu mon meilleur ami, le journaliste Belal Jadallah, avec qui j’avais couvert la guerre en2009 et aussi fondé la Maison presse Palestine pour défendre l’indépendance de la presse à Gaza. Il a été tué par un bombardement alors qu’il conduisait sa voiture. C’est une vengeance aveugle, une punition collective: si on ne vous tue pas, on tue votre famille. Celle de mon épouse a été décimée, elle a perdu un oncle, des cousins… Tout le monde a été touché à Gaza.

Quel est le quotidien de la population à Rafah?
C’est la course à la nourriture. Cela fait quatre mois que l’on ne mange que des boîtes de conserve, c’est la fête quand on arrive à dénicher quelques légumes. Les prix se sont envolés: avant guerre, le sucre était à 3 shekels le kilo (environ 0,75 euro); aujourd’hui, il atteint les 75 shekels! Idem pour le sel. Les produits de première nécessité (shampoing, dentifrice,etc.) manquent cruellement.Et dans le nord de la bande de Gaza, la famine s’installe.

(1) Cent trois journalistes ont été tués par l’armée israélienne depuis le début de la guerre, selon Reporters sans frontières.

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